Puis montés à bord du NEA HELLAS.
Installés à 5, dans la cabine n° 20, DOREAU,
MANOUSSARIDIS, GLOAGUEN, RAYNAUD et moi. Tout le confort moderne, sur ce
navire, battant pavillon britannique: lavabos, glaces, salles de bain.
Que de monde sur ce bateau, et il en monte toujours, à 21 h.
9-2-46: Au réveil, ce matin, nous avons constaté,
que la mer était assez grosse. On s'attendait à partir à
9 h, puis à 11 h, puis au début de l'après-midi, tant
et si bien, que le départ est reporté, à demain matin,
et encore, à la condition, que le temps le permette. Avons touché,
hier soir, les ceintures de sauvetage (exercice ce matin à 10 h
45) et, ce soir, une ampoule rouge, à utiliser, en cas de naufrage.
10-2-46: L'eau étant rationnée, il faut se lever
de bonne heure. (De 6 h 15 à 7 h 15). La matinée et l'après-midi,
furent une véritable source d'émotions. On part, non, pas
encore. Enfin, vers 17 h 30, les remorqueurs sont arrivés et, à
18 h 30, le bateau commençait, à prendre de la vitesse. La
mer n'est pas trop mauvaise. Un peu de roulis, mais à peine. Et
voilà le séjour en FRANCE terminé, pour plusieurs
mois, plusieurs années, peut être.
11-2-46: La première nuit en mer, a été
relativement calme. Très peu de roulis. Au point du jour, les côtes
de la CORSE et de la SARDAIGNE, sont en vue. Dans la matinée, avons
franchi le détroit de BONIFACCIO. A 10 h, exercice de sauvetage,
pour ne pas changer. Ceinture de sauvetage ajustée,
chacun se retrouve, à la place qui lui a été indiquée,
près de son canot de sauvetage. Toute panique impossible. Il y a
trop d'ordre. Distribution de cigarettes anglaises. La mer a été
très calme, dans la journée, ce qui fait que les mouvements
du navire, sont pratiquement insignifiants. Au coucher du soleil, aucune
terre n'était plus en vue. L'ambiance, à bord, est très
bonne. Et, ce soir, à tribord, les Sous-officiers se sont réunis,
autour d'un accordéon. Chants, histoires, etc.
12-2-46: Pris mon bain à 7 h. Dès que le jour a
paru, avons constaté que les côtes de la SICILE, et de l'ITALIE,
étaient bien en vue. A tribord, nous avons laissé les îles
LIPARI, avec le STROMBOLI. Jusque 8 h 45, approche et franchissement, du
détroit de MESSINE, l'ITALIE à babord, MESSINE et l'ETNA
à tribord. (Duquel sortait un panache de fumée).
Progressivement, nous nous sommes éloignés des
côtes, qui ont totalement disparu, vers midi. Au fur et à
mesure que nous avons pris le large, la mer s'est creusée, et les
mouvements du bateau se sont accentués.
13-2-46: Bain à 6 h. Petit déjeuner à 8
h 30. Exercice" ABANDON SHIP", à 10 h. Vers 2 h, les îles,
situées au sud de la CRETE, étaient en vue. La houle est
toujours la même. Dans la soirée, la vitesse du bateau a été
accélérée. A partir de 20 h, cinéma, bals,
chants. Les distractions ne manquent donc pas.
14-2-46: Dans la matinée, avons croisé un cargo,
qui filait plein Ouest. La mer est un peu plus agitée, aujourd'hui.
Croisé trois autres bateaux. A 21 h, des feux sont aperçus.
A 23 h 30, le bateau est arrêté, presque à l'entrée
du CANAL DE SUEZ. Dommage que nous ayons traversé PORT SAID, de
nuit.
15-2-46: Dans la matinée, nous nous trouvons toujours,
au même endroit. Des embarcations indigènes pullulent, autour
du bateau. Les marchands nous font miroiter leurs marchandises. De nombreux
bâtiments, venant du canal, sont arrivés. Entre autres, le
VILLE DE STRASBOURG, qui revient d'INDOCHINE. Fait curieux, il ne fait
pas très chaud, ici, pour le moment, et nous avons conservé
nos vêtements de drap. A 18 h 30, avons quitté PORT SAID,
et marchons maintenant, à faible allure, dans le canal de SUEZ.
16-2-46: A 5 h 30, le bateau s'est arrêté, car le
vent le déportait. C'était au km 136. Passé toute
la journée, au même endroit. Vers 22 h, sommes repartis. A
23 h 15, l'extrémité du canal était atteinte. Nouvel
arrêt, à 23 h 30, pour déposer le pilote. Bal pour
Officiers.
17-2-46: Repartis à 2 h 30, ce matin. La MER ROUGE est
d'un bleu foncé. Croisé quelques bateaux. Bien souvent, on
distingue les deux rives. Suis de jour, à partir de 14 h. Tout se
passe normalement. Ce soir bal pour hommes de troupe.
18-2-46: Etant de service, ai passé la nuit, dans un divan
du salon des Officiers. Une ronde à 4 h 30. Faisons toujours Sud-
Sud-Est. Croisé un certain nombre de bateaux et, en particulier,
un porte-avions. Depuis ce matin, la chaleur se fait sentir, et nous avons
revêtu la tenue coloniale, avec le grand casque. Le port de celui-ci,
est obligatoire, lorsqu'on monte sur le pont.
19-2-46: Cette nuit, on a réellement senti la chaleur.
Pas de difficulté à se lever à 6 h. Un bon bain, puis
vite sur le pont. Port du casque colonial obligatoire. Toujours quelques
bateaux. A 14 h 45, avons croisé le PASTEUR. Depuis le début
de l'après-midi, des taches rouges sur la mer (Ne sommes-nous pas
en MER ROUGE ?). Des algues, disent certains. Dans la soirée, avons
croisé un sous-marin hollandais (en surface).
A la tombée de la nuit, à babord, un phare
est en vue.
20-2-46: Vent assez fort, ce matin, au réveil, qui semble
ralentir notre marche. Des côtes en vue, des deux côtés.
Au début de l'après-midi, nous rentrons dans le golfe d'ADEN,
après avoir tourné vers l'Est, contournant le CHEIK SAID
et le PERIM.
21-2-46: Matinée calme, ainsi que la mer. La chaleur se
fait sentir, mais elle est supportable. Au courant de l'après-midi,
les côtes de la SOMALIE ITALIENNE sont en vue. A la tombée
de la nuit, continuons de les longer. Ce soir, bal pour les Officiers.
A minuit, on avance les montres d' une demi heure.
22-2-46: Réveil assez pénible, car on s'est endormi
fort tard. Passé devant l'île de SOCOTORA, dans la nuit. La
mer est extraordinairement calme. Aperçu des poissons volants (qui
sortent de l'eau, battent des nageoires sur une centaine de mètres,
puis replongent) et des bancs de marsouins. Comme occupations à
bord, je fais des réussites, me promène sur le pont, revient
étudier de l'artillerie de campagne, (MON DADA !) attends l'heure
du repas, et ainsi de suite. Le meilleur moment de la journée, est
celui, où le soleil se couche. La brise vient alors, nous apporter
un peu de fraîcheur. Ce soir, on avance, de nouveau, les montres
de 1/2 h.
23-2-46: Mer toujours calme. Quelques poissons volants. A 11
h, on nous a donné le point: Lat. 10, Long. 61, vitesse 15 noeuds
(A la calculette: 15 x 1851, 85 égale 27 Kms 77 à l'heure).
Dans l'artillerie, on aime la précision, quitte, ensuite, à
arrondir ! Dans l'après-midi, quelques matches de boxe, à
l'arrière du pont promenade. MARTIN et GARNIER ont fait match nul,
contre leurs adversaires. Distribution de cigarettes anglaises.
24-2-46: Dimanche. Dans la matinée, messe sur le pont.
Depuis hier, on nous donne le communiqué. Dans l'après-midi,
promenade sur le pont, conversations. A 20 h 30, théâtre avec
STEENBRUGGE, AUBRY, HARTMANN, TATI, JORDANNEAUX. La CROIX DU SUD est nettement
visible ce soir. Elle comporte quatre étoiles, formant un losange
grossier. Le point de rencontre, avec l'horizon, de la droite reliant les
deux étoiles, les plus éloignées, l'une de l'autre,
est le Sud approximatif.
25-2-46: Avons croisé un cargo, dans la matinée.
La chaleur se fait sentir, dès le lever du soleil. Au début
de l'après-midi, nous sommes dans les parages des îles LAQUEDIVES.
Passons par le canal du 8eme degré, au Sud de l'île MINIKOI.
Croisé un autre cargo, dans l'après-midi.
26-2-46: A part l'exercice d'alerte habituel, rien de spécial,
ce matin. Ramassé le courrier, à 17 h 30. Dix minutes plus
tard, la terre était en vue. C'est l'île de CEYLAN. Ce soir,
des phares sont en vue.
27-2-46: Au réveil, ce matin, les côtes sont toujours
en vue. Continuons de les longer, jusqu'à 13 h 30. Poissons volants
et bancs de marsouins. A 13 h 30, faisons Ouest. A 14 h 30, sommes amarrés,
dans le port de TRINCOMALI. Le" VAR", sur lequel se trouve une partie du
G. A. O. A., est arrivé ici, avant-hier. Avons vu MAITRE, ce soir.
Faisons le plein d'eau et de mazout. Pas d'air dans le port. Chaleur humide
et importante. La Croix du Sud est bien visible ce soir.
28-2-46: Il me semble, que le bateau est pressé de repartir.
Dès le plein terminé, nous avons quitté TRINCOMALI,
ce matin, à 8 h 10, en emportant le souvenir, d'un paysage équatorial.
Le port de TRINCOMALI est un joli petit port, bien protégé.
L'entrée est défendue par deux îles. Des fortes collines.
Végétation luxuriante. A 10 h, plus de côtes en vue.
Faisons route vers l'Est, légèrement Sud-Est. A 9 h 30, le
port de la ceinture de sauvetage, est devenu obligatoire. Aujourd'hui,
première absorption d'atabrine (contre le paludisme). Bal pour Officiers.
1-3-46: Pas de terre en vue, aujourd'hui. La mer, calme ce matin,
s'est ensuite creusée légèrement, mais la tempête,
qui semblait se dessiner à l'horizon, n'a pas eu lieu. A 17 h, ai
terminé mon tour de jour. Ce soir, la mer est houleuse. Un peu de
roulis. A minuit, on avance les montres d' 1/2 h.
2-3-46: Peu de choses, dans la matinée. Toujours un peu
de roulis. Avons croisé un pétrolier, au loin, à babord.
Un peu avant midi, l'île NICOBAR était en vue. Sommes passés
au Sud de cette île. A 16 h 30, avons aperçu, à tribord,
les quatre îles situées au N. W. de l'île de SUMATRA.
Après le Cap DIAMOND, obliquons à droite, S. E. Distribution
de cigarettes anglaises. Ce soir, on avance encore les montres d' 1/2 h.
3-3-46: Ce matin, les côtes de SUMATRA sont encore en vue.
A 11 h, messe sur le pont. Pendant que je fais la sieste, matches de boxe
et de lutte, à l'endroit habituel. Dans la soirée, les côtes
sont également tout près, à babord. Music-hall et
théâtre.
4-3-46: Au réveil, ce matin, des îles sont en vue.
Quelques jonques. Vers 11 h 30, nous passons devant SINGAPOUR. Un grand
nombre de bateaux, arrêtés dans le port. Pour nous, pas d'escale
ici. Après avoir contourné le cap ROMANIA, nous filons, plein
Nord, laissant, dans l'après-midi, les îles TIOMAN à
babord. Coucher de soleil magnifique. Le soir, toujours les mêmes
distractions. Traînées jaunes sur la mer.
5-3-46: Aucune terre en vue, au cours de la journée. Premiers
ordres pour le débarquement. La croisière se termine. La
fête de mardi gras, a été célébrée
dignement. Théâtre, revues, danses, sur tout le bateau. Au
salon des Officiers bal masqué assez amusant. Histoires drôles.
6-3-46: Au réveil, ce matin, étions à l'arrêt,
devant le CAP ST JACQUES. Rendu les lampes rouges de sauvetage, en fin
de matinée. A 13 h, environ, le bateau, ayant le pilote à
son bord, a commencé à remonter la rivière de SAIGON.
Avancé les montres, d'une heure à 13 h. (Cela fait un décalage
de 7 heures avec la FRANCE. Un bateau japonais coulé dans la rivière.
(KANZYU MARU). Entré dans le port de SAIGON, à 18 h
(nouvelle heure).