OreilleG100

Journal de bord de Jean HYRIEN sur le RICHELIEU



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                * Le cuirassé RICHELIEU


BREST - 1940

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                        * Jean HYRIEN


Après avoir fait ses essais dans la baie de Douarnenez, le Richelieu entre en rade abri au quai d’armement à Laninon. Pour la première fois qu’on sortait avec lui en mer, ses essais de vitesse d’abord ainsi que le lendemain ses essais d’artillerie, avaient été très satisfaisants. On avait été escortés pendant qu’on était en mer par les torpilleurs « Frondeur » et « Fougueux » et plusieurs hydravions. Cela se passait entre le 15 mai et le début de juin.
 
Resté pendant quelques jours à ce quai à Laninon, on partit ensuite au bassin pour le carénage, puis on ressortit au bout de huit jours pour l’amarrer à la même place qu’auparavant. C’est là que les alertes commencèrent à se faire sentir sur Brest. On nous envoya au coffre toujours en rade abri parce que les alertes devenaient de plus en plus nombreuses. On a commencé à embarquer des vivres tous les jours ; on travaillait parfois jusqu’à minuit pour reprendre très tôt le lendemain matin. On embarquait aussi tout le matériel de guerre et les matières nécessaires à l’entretien du bateau. Quand les munitions arrivèrent le long du bord, ce fut la vraie crise. On travaillait encore plus dur qu’aux vivres. Quand une équipe allait manger, une autre la remplaçait et on travaillait presque toute la nuit. Il suffisait qu’il y ait une alerte et on était obligé de larguer le chaland de munitions et de l’éloigner du bord de crainte que les avions ennemis laissent tomber des bombes dessus. Cela aurait fait explosion et provoqué beaucoup de dégâts. Il y avait en ce temps-là en rade abri le Richelieu, le Paris(*1)c'est un Cuirassé , plusieurs torpilleurs et sous-marins. Quand un avion ennemi nous survolait, tous les bateaux ouvraient le feu dessus et je vous assure que ça canardait drôlement. Tous les matins de quatre heure et demie à six heures et tous les soirs de huit à neuf heures, on nous faisait descendre au poste de protection sous le pont blindé parce qu’en général les alertes avaient lieu à la pointe du jour ou à la tombée de la nuit. Ce sont celles-là qu’on avait le plus à craindre. Parfois en plein repas, on était obligés de descendre au poste de protection.
 
Le dix-sept juin(*2)Les évènements relatés ont en réalité eu lieu le 18 juin 1940. , j’avais vingt ans : je les ai fêtés d’une drôle de manière. Au lever du jour, les avions apparurent très tôt. L’un d’eux laissa tomber trois bombes. Il voulait faire sauter les citernes à mazout. La première bombe ne toucha pas les citernes. Elle tomba à la mer en faisant une vraie gerbe d’eau. La deuxième tomba auprès des constructions navales, sur le quai où était accosté le Richelieu il y avait quelques jours. La troisième tomba à l’entrée d’un bassin et ne fit aucun dégât.
 
Vers cinq heures du matin le remorqueur « Provençal » sortait en grande rade pour l’appareillage d’un bateau quelconque. Tout à coup on entendit une grande explosion et on sentit une secousse qui fit trembler le « Richelieu » On était encore au poste de protection et l’on se demandait ce qu’il arrivait. Certains disaient une bombe sur la plage arrière. Quand on est remonté sur le pont à la fin de l’alerte, on sut par les hommes de la D.C.A.(*3)Défense contre les avions et ceux de la veille ce qu’il venait d’arriver. C’était le « Provençal » qui avait sauté sur une mine magnétique mouillée la veille au soir par les avions volant à basse altitude alors qu’il faisait nuit. On les entendait mais on ne pouvait pas les voir. Le remorqueur avait coulé sur le coup à l’explosion. On ne vit plus que la cheminée à l’avant et l’arrière détaché puis une gerbe d’eau d’une trentaine de mètres de hauteur. On ne put sauver que deux membres de l’équipage et encore ils étaient blessés.
 
Durant les journées du 16 et du 17 juin, il arriva à Brest plusieurs grands paquebots britanniques pour chercher leurs troupes et les rapatrier. Le 17 au matin il arriva une cinquantaine de chalutiers : la rade était encombrée de bateaux qui venaient embarquer les troupes et le matériel. Ils avaient mis le feu dans les camions qu’ils n’avaient pas eu le temps de prendre. Le 18 juin à midi, on sut qu’on devait partir de Brest. On voyait le grand pont noir par les personnes qui y passaient tant il y avait qui partaient de la ville à la campagne ou plutôt fuyaient devant l’ennemi. Les civils avaient le moral bien bas à voir partir toute l’escadre qui se trouvait à Brest. A deux heures toutes les embarcations étaient hissées sur le pont et on lâcha le coffre pour prendre la fuite. On n’avait pas encore viré pour sortir en grande rade, on entendit encore les canons en action. Aussitôt le bord tira aussi, c’était des avions ennemis qui nous survolaient à haute altitude et qui examinaient les mouvements qui se passaient dans le port. L’alerte dura près d’une heure. On sortit en grande rade vers les trois heures. Il y avait à bord une grande partie des élèves officiers de l’école navale. On n’était pas trop fiers en franchissant le goulet, on craignait beaucoup de toucher une mine. Car le jour avant, l’ennemi en avait mouillé plusieurs par parachute pendant l’alerte du début de la nuit. Enfin on réussit à sortir sans trop de mal escortés par les torpilleurs « Frondeur » et « Fougueux ». Au bout de quelques temps de marche, on ne voyait plus la côte française. On voyait à l’horizon le phare d’Ouessant. A six heures du soir, on aperçut encore un avion très loin derrière nous qui suivait notre route. La D.C.A ouvrit le feu. Il dut s’éloigner et grâce à la nuit qui tombait, il ne put pas connaître la route qu’on faisait. A partir de cette alerte, on fut tranquille. La mer était calme, l’équipage ne savait pas encore où l’on se rendait. Ce n’est qu’après deux jours de mer que l’on sut qu’on rejoignait Casablanca ou Dakar. Les deux torpilleurs de Brest furent relevés par le « Fleuret » au large de Casa et l’on fut escorté par lui jusqu’à Dakar où l’on arriva le 23 juin vers trois heures de l’après-midi. Et l’on mouilla en grande rade.
 
Dans ce port, il y avait un porte-avions anglais « Armest », un bateau atelier et plusieurs bâtiments de transport et de ravitaillement. Le 25 septembre, on appareillait pour aller à la rencontre des croiseurs auxiliaires  « Ville d’Alger », « Ville d’Oran », « El Kontara », « El DjézaÏr », « El Mansour » qui étaient escortés par les torpilleurs « Milan » et « Epervier » on ne les rencontra pas au point qui nous était signalé. On fit encore route sur Dakar, on arriva au mouillage au petit jour mais on ne rentra pas en grande rade. On fut stoppé pendant cinq minutes le temps d’envoyer et de recevoir quelques messages de terre. Puis on vit le bateau virer et augmenter sa vitesse : on prenait encore la mer mais cette fois on vit « Le Fleuret » sortir après nous et nous suivre à toute pompe. On avait juste croisé un bateau étranger quand on partait ; après, on ne vit plus rien. Ce n’est que le 27 à quatre heures qu’on vit un croiseur anglais à l’horizon ; Il commença par nous faire du Scott(*4)Système de communication par signaux lumineux ; Il demanda de nous escorter. On l’accepta puis on marchait à quinze nœuds, « Le Fleuret » en tête, le Richelieu qui le suivait et le croiseur anglais derrière qui se tenait dans notre sillage. Cela continua jusqu’à minuit. Alors le Richelieu et le Fleuret commencèrent à prendre de la vitesse dans la nuit noire si bien qu’en arrivant à Dakar, on ne voyait plus le croiseur. Un quart d’heure après notre arrivée, on le vit venir à l’horizon. Il nous « scotta » à nouveau et l’on rentra au mouillage tandis que lui resta en mer. On le vit croiser au large de nous pendant toute la journée. Durant ce jour un de leurs pétroliers accosta le porte-avions pour le ravitailler. On a su tout de suite qu’il y avait quelque chose de louche, qu’il se passait quelque chose d’anormal entre la marine française et anglaise. Le lendemain, le porte-avions, le bateau atelier et les deux pétroliers anglais partirent en mer. L’Armest revint encore à la fin du mois à Dakar mais ne resta qu’un jour. On se méfiait déjà des anglais. A partir de juillet, tous les bateaux se trouvant à Dakar furent internés.
 
Le 2 juillet quand un sous-marin français rentrait à la tombée de la nuit, un des cargos voulut s’échapper, profitant que la passe était ouverte pour laisser entrer le sous-marin. On lui referma la passe au nez si bien qu’il dut s’arrêter le plus vite possible sans quoi il se jetait sur les filets. Il dut reprendre sa place primitive au mouillage.
 
Le 7 juillet les permissionnaires allaient à terre l’après-midi. Ils n’avaient pas encore tous embarqué dans la chaloupe, voilà qu’on sonne alerte de D.C.A. On nous fit embarquer quand même. On arriva au quai pour descendre à terre ; personne n’avait le droit de débarquer et l’on reçut l’ordre de retourner à bord. En arrivant à bord on nous criait dessus : «  dépêchez-vous et tout le monde au poste de combat immédiatement. » On venait de voir au large un torpilleur avec pavillon blanc. C’est-à-dire qu’il voulait parlementer. On lui donna l’ordre de partir sans quoi on lui tirait dedans. Il partit aussitôt. Le sous-marin « Sidi Ferruch » qui rentrait quelques temps après put éviter deux bombes qui étaient en surface et avaient été lâchées sur lui par un avion anglais qui arriva sur lui en piqué. Dans la soirée on prit les cargos anglais. Le lendemain tout le monde était au poste de combat à quinze heures. Vers cinq heures un quart, des avions nous survolaient à bâbord ; on ne voyait presque rien dans la nuit. Puis on entendit un autre à tribord qui arrivait sur nous, moteur calé puis d’un coup il accéléra. On sentit au même instant une secousse terrible qui ébranla le bateau de fond en comble. On croyait que c’était les 380 qui tiraient mais on s’était trompé, c’était une torpille aérienne qui venait de faire but à tribord arrière. On vit le sillage de deux autres qui passèrent à bâbord sans nous toucher. La D.C.A ouvrit le feu mais c’était trop tard : on était torpillé et les avions prirent la fuite. Pour midi on dut être remorqué pour rentrer au port et s’amarrer au quai. L’arrière s’était enfoncé d’au moins un mètre. On nous entoura de filets en cas de nouvelles attaques. Puis tout fut calme, on ne revit pas les anglais.
 
Il y eut juste quelques bateaux qui partirent avec des réservistes qui étaient démobilisés tel que « Le ville d’Alger »(*5)Paquebots réquisitionnés en 1939 comme croiseurs auxiliaires d'abord utilisés pour rapatrier les évacués de Dunkerque (notamment via Plymouth - Brest) en juin 1940, ils transportent ensuite une partie du stock d’or de la Banque de France de Brest à Casablanca et Dakar ; puis sont désarmés à Dakar. escorté de « L’épervier »(*6)Contre-torpilleur , « Le ville d’Oran » par « Le milan »(*7)Contre-torpilleur et plusieurs autres. Des torpilleurs arrivèrent : « L’épée », « Le hardi » ainsi que quelques sous-marins « Le Persée », « L’Ajax » et l’hydravion « Lieutenant de vaisseau Paris » avec l’amiral et du courrier à bord.

Le combat pour DAKAR  -  Septembre 1940

Le 14 septembre, les croiseurs « Georges Leygues », « Montcalm » et « Gloire » arrivèrent à Dakar. Ils étaient suivis de trois contre-torpilleurs qui furent obligés de rester à Casablanca parce que l’un d’eux était en avarie de machine. « L’audacieux » et « Le malin » arrivèrent vers le 18 septembre à Dakar et « Le Fantasque » qui était réparé arriva quelques jours après. En ce temps-là, le « Primauguet »(*8)Frégate et le « Tarn »(*9)Pétrolier chargé du ravitaillement des navires avaient pris la mer pour rejoindre Conakry.(*10)Conakry est la capitale de la République de Guinée Deux jours après ce furent les croiseurs qui s’en allèrent pour débarquer des troupes au même lieu. Mais ils arrivèrent nez à nez avec des bâtiments anglais et durent revenir sur leurs pas. Le « Georges Leygues », et le « Montcalm »arrivèrent encore à Dakar mais du « Gloire » on était sans nouvelles. Il avait une panne de machine et n’avait pu suivre les deux autres croiseurs. Sans doute que les anglais l’avait capturé ainsi que le « Primauguet » et le « Tarn » Depuis on était calme mais toujours sans nouvelles de ces 3 bâtiments.
 
Le 23 septembre au matin, l’équipage à bord lavait du linge sur la plage avant. Vers les six heures, on aperçut trois avions juste au-dessus de nous à une moyenne altitude. Ils se croisaient en l’air mais faisaient toujours le même circuit tout en lâchant des paquets de fumée toutes les quatre ou cinq secondes. On croyait qu’il y avait exercice de D.C.A et ce n’est que quelques minutes plus tard que l’on vit des tracts tomber sur le pont. Sur ces tracts était inscrit ceci : « Marins français, ralliez-vous à la flotte anglaise pour défendre la patrie. Signé : Général De Gaulle » Aussitôt qu’on vit les papiers tomber, les mitrailleuses du bord se mirent à tirer. Les avions ne quittaient pas encore ; ce n’est que lorsque la D.C.A arriva à son poste et que les 100 et 37(*11)Artillerie antiaérienne du Richelieu, telle que prévue en 1940 :12 canons de 100 mm Modèle 1930 ; 12 canons de 37 mm Modèle 1935(en six affûts doubles) ; 32 mitrailleuses de 13,2 mm Modèle 1929 (huit affûts quadri tubes) se mirent à tirer qu’ils s’éloignèrent. A leur tour « le Malin » et les croiseurs ouvrirent le feu. Les avions n’étaient pas encore bien loin de nous. On vit les Curtiss, les avions de chasse de Dakar qui arrivèrent à toute vitesse tout en canardant à la mitrailleuse les aviateurs anglais. Les avions ronflaient et les canons tonnaient de partout. Au bout d’une heure l’alerte était terminée. On vit alors deux vedettes anglaises(*12)http://dakar.1940.free.fr/forces-1.htm:
Ce site raconte les 3 jours de la bataille de Dakar et l’envoi par De Gaulle d’une délégation de parlementaires français à Dakar pour préparer le débarquement de forces françaises et anglaises à Dakar ce qui suppose le ralliement de la marine française aux anglais et à De Gaulle. En effet, depuis Mers el Kébir les ordres sont d'attaquer toute force anglaise à moins de 20 milles de nos côtes et tout groupe d'avions survolant un point d'appui. Les vedettes dont il est question dans ce récit transportent ces parlementaires.
arriver, une avec pavillon blanc, l’autre avec le pavillon français, toutes les deux venant du large et se dirigeant vers Dakar. Elles arrivèrent au port vers huit heures pour parler avec les autorités. On voulut les prendre quand ils avaient débarqué mais ils sautèrent dans leurs embarcations et prirent la fuite et une fois qu’ils étaient éloignés, l’une des vedettes lâcha une fusée. La D.C.A se mit à tirer dessus mais ne les coula pas. Dans le restant de la journée, il y eut quelques alertes aériennes et dans la soirée quelques obus venant du large étaient tombés loin de nous. Les 152(*13)Artillerie secondaire (pouvant tirer aussi contre-avions), telle que prévue fin 1939 : calibre : 152 mm Modèle 1936 (9 pièces à l'arrière, en 3 tourelles triples, une axiale et deux latérales) ; munitions : obus de 54 kg ; portée : 26 474 m à l'élévation 45°. tirèrent sur les bâtiments se trouvant les plus rapprochés de nous parce que le ciel commençait à se ternir par l’approche de la nuit.
 
Le matin à neuf heures, deux avisos battant grand pavillon français à la corne rentrèrent en grande rade et restaient virer en face de nous à trois ou quatre miles. On voyait bien que les avisos étaient français mais ce n’était pas normal de voir en temps de guerre un petit bateau battant un très grand pavillon. On se doutait tout de suite que ces deux bateaux étaient suspects. En effet ils étaient armés par des marins anglais et le nom était masqué. Les 160 ouvrirent le feu sur eux et ils partirent sans plus revenir. Le sous-marin « Persée » qui se trouvait au large, était pris entre deux croiseurs qui lui donnèrent l’ordre de stopper. Il lâcha trois torpilles sur l’un des croiseurs. Le sous-marin fut coulé à son tour mais tout l’équipage fut sauvé par un aviso. Il n’y eu qu’un seul tué à bord. Le contre-torpilleur « L’audacieux » fut touché dans la soirée. Il reçut plusieurs salves et partit s’échouer à la côte. Il y eut plusieurs victimes à bord. Dans cette soirée, les anglais voulurent débarquer à Rufisque qui se trouve à 25 kilomètres de Dakar. La côte était armée par la légion étrangère et les anglais durent réembarquer pour partir, laissant beaucoup de leurs camarades après eux. Dans la journée, il y eut deux avions de commerce anglais qui atterrirent à Ouakam, terrain d’aviation de Dakar. A leur descente d’avion, ils prirent le commandant d’aviation et le ligotèrent. Heureusement que d’autres aviateurs étaient là et ils prirent les anglais à leur tour pour les interner.
 
Le 24 septembre, on avait branle-bas à quatre heures, et aussitôt levés on était au poste de combat. Au lever du jour, il y eut une alerte : les avions anglais tiraient à la mitrailleuse en nous survolant mais ils durent prendre la fuite par suite de nos tirs. Vers neuf heures, ce fut encore alerte de D.C.A : cette fois-là, ce fut un groupe d’avions. Les canons et les mitrailleuses tiraient encore et les avions de chasse les poursuivaient. Les avions anglais commencèrent par lâcher des bombes sur nous ; il en tomba trois tout près du bord, deux tombèrent à l’eau et l’autre à dix mètres de nous sur le quai. Cette dernière fit une grande explosion, faisant trembler le Richelieu avec la secousse. La cloche sonna pour avertir les armements de D.C.A de se mettre au poste de protection. Au même moment, un avion qui avait été touché prenait feu. Il essaya de remonter pour prendre de la hauteur, il ne réussit pas. Il fit alors un piqué pour lâcher les bombes qui lui restaient à la mer. Une fois déchargé de ces bombes, il remonta encore une fois puis il piqua droit à la mer. Après on entendit crier : « un deuxième avion abattu à bâbord ! » On vit les deux aviateurs descendre en parachute sur la ville, leur avion en flammes venait de tomber au sol. Quelques minutes après, un autre avion qui était poursuivi par un Curtiss(*14)Avion de chasse produit par les USA , fut abattu au large. Son équipage fut sauvé par le torpilleur « Hardi »(*15)La classe Hardi est une série de douze torpilleurs d'escadre de la marine nationale française mise sur cale à partir de 1936 et entrée en service en 1940.
 
Après ce fut le combat naval qui commença. Une pluie d’obus tomba autour de nous. On les entendait siffler en passant au-dessus de nous et, quand ils tombaient dans la mer, ils faisaient des gerbes d’eau de cinquante à soixante mètres de haut et même plus. Les 152 du bord se mirent en action. Cela dura environ une demi-heure pour reprendre quelques temps après. Cette fois les 380 voulurent tirer à leur tour. Au premier coup, le bateau fut balancé par la secousse. On entendit des éclats dégringoler sur le pont. On croyait qu’on venait d’être atteints pas un obus mais c’était la tourelle II qui venait de tirer et un canon avait éclaté au ras de la tourelle au départ du coup. C’était par suite de la charge de poudre. Avec la charge de poudre enflammée, l’obus ne sortit pas et c’est alors qu’il fit explosion dans le canon qui vola en éclats. Les autres pièces furent avariées par les éclats, le pont percé en trois endroits. Trois locaux furent presque détruits et les éclats tombèrent jusque dans les postes d’équipages. Heureusement, il n’y eut aucun blessé. Les alertes continuaient toujours. On fut tranquille un moment à midi, puis le combat reprit encore après-midi. Les 152 qui avaient été en avarie étaient réparés et tiraient encore. Une burette à mazout, tout près de nous, fut atteinte par un obus et coula aussitôt. Le paquebot français « Porthos »(*16)Paquebot Porthos: Date du naufrage: 08 novembre 1942 Paquebot mis en service en 1915. Il se trouvait à Dakar lors de la tentative de prise du port par les Anglais et les forces FNFL, le 23 septembre 1940. Un obus de 160 est tombé sur le pont faisant 7 morts et 10 blessés. Puis un autre obus lui a déclenché un incendie. Remis en état, il a continué à naviguer pour le gouvernement de Vichy. Il se trouvait à Casablanca lors du débarquement américain en Afrique du Nord le 8 novembre 194 eut l’avant traversé par un obus et il y eut un incendie à bord, mais pour le soir il fut maitrisé. Un cargo grec, pas loin de ce paquebot, à un autre quai, fut atteint par un autre obus puis il fut en flammes. Aussitôt on le sortit en grande rade puis dans la soirée un contre-torpilleur le canonna pour le couler plus vite parce que l’incendie qu’il y avait à bord éclairait toute la rade la nuit. Cela aurait été un bon repère pour l’ennemi !
 
Pendant ces journées il y avait les deux croiseurs en grande rade, les avisos, les torpilleurs et contre-torpilleurs qui eux sortaient à un ou deux de temps en temps. Le « Banfora »(*17)Paquebot arriva avec des vivres pendant le combat. Les marins à bord étaient obligés de se débrouiller pour manger : on mangeait chacun à son poste de combat. On pouvait monter à peine quelques minutes sur le pont et on pouvait y rester seulement la nuit.
 
La nuit les armements de D.C.A, de 152 et 380 dormaient sur le pont à côté de leur pièce ou de leur tourelle. Le soir une vedette du port repêcha quatre ou cinq sacs de poissons qui étaient tous en surface le ventre en l’air. Ils avaient été tués par les obus et les bombes qui tombaient à l’eau.
 
Le 25 septembre, on nous mit encore au poste de combat à quatre heures. Toute la nuit la grande rade était illuminée par le cargo grec en flammes. Il ne coula qu’à sept heures du matin. La nuit avait été calme. A peine le jour levé, on entendit sonner l’alerte de D.C.A.  Les avions furent repoussés par un tir de barrage. Ensuite vers huit heures, ce fut encore une nouvelle alerte. C’était un avion de reconnaissance qui nous observait du large. Un « Curtiss » se mit aussitôt à sa poursuite et ne mit pas longtemps à l’abattre. Après ce fut la bataille navale. On vit deux cuirassés et un croiseur foncer droit sur nous. Ils étaient à environ 35 miles de nous et nous ne tirions pas encore. Quand ils arrivèrent à 22 miles, l’un deux nous envoya une salve puis ils commencèrent à virer tout en nous bombardant. Aussitôt le Richelieu tira une salve de 380 qui ne fit pas but. On donna l’ordre d’allonger le tir de 200 mètres et cette salve fit but ainsi que plusieurs des suivantes jusqu’à l’ordre :  « suspendez le feu ; changement d’objectif ; le but est le cuirassé de gauche.» Le tir commença aussitôt sur le second cuirassé de qui on reçut un obus avant qu’il ne fut atteint par nous. Quand il reçut les premiers coups, il interrompit son tir pendant quelques minutes. Le sous-marin « Béveziers »(*18)C'est le deuxième d'une série de quatre sous-marins océaniques à propulsion diesel, construits à la DCN Cherbourg qui était en plongée à proximité, le torpilla pendant ce temps, ce qui lui fit prendre de la gîte. On vit alors le cuirassé prendre la route du large et il partait à une vitesse réduite à cinq nœuds par les chocs qu’il venait de recevoir.
 
L’obus qu’on reçut rentra par tribord. Il fit un trou dans la coque à deux mètres au-dessus de la ligne de flottaison. Il traversa deux postes d’équipage et fit un ricochet sur le pont blindé qui se gondola un peu sous le choc. L’obus avait percuté et explosa en démolissant les deux postes puis s’arrêta en éclats dans un lavabo dans l’axe du bateau en faisant un bruit formidable. L’équipage qui était dans deux postes n’avait plus que le linge qu’il portait sur lui pendant le combat.
 
Un croiseur eut une tourelle démolie par l’artillerie côtière du cap Manuel(*19)Le cap Manuel est situé à la pointe sud de la presqu'île du Cap-Vert (Sénégal) . En cette matinée, il y eut deux autres avions abattus. C’était ceux d’un cuirassé. Ils venaient d’être catapultés pour faire la reconnaissance mais les avions de chasse leur tombèrent dessus et ils furent vite descendus. L’un deux venait à peine de décoller de sa catapulte et n’eut pas le temps de prendre de la hauteur. Un « Curtiss » lui piqua dessus et le descendit.
 
Vers la fin de ce combat naval, il était une heure et demie de l’après-midi. Le reste de la journée fut tranquille mais c’était un repos bien gagné. On fut félicités par le commandant : il était content de son équipage et il nous accorda la double générale !
 
A trois heures, le gouverneur général, un amiral puis un autre général arrivèrent à bord pour visiter et voir les dégâts causés par l’obus qu’on avait reçu dans l’entrepont principal. On entendit par ceux qui étaient à terre que pendant le combat ils ne voyaient que des gerbes d’eau avec les obus qui nous tombaient dessus, les flammes par les tirs continus du bord et des nuages de fumée au départ de chaque salve. De terre on voyait le Richelieu dans une triste situation. Ils devaient se demander qui gagnerait : c’était la vie ou la mort. L’après-midi plusieurs bombardiers partirent rechercher les bâtiments anglais pour les bombarder. Un croiseur reçut une bombe sur la plage arrière. Quand ils rentrèrent, ils passèrent au-dessus de nous et tous les marins se trouvant sur le pont se mirent à la féliciter. Parce que c’est grâce à l’aviation qui a fait de beaux exploits qu’on a évité toutes les bombes qui étaient destinées à tomber sur le bord. On peut dire que c’est grâce au Richelieu et aux deux croiseurs que l’attaque menée contre le Sénégal fut anéantie. Ce n’était pas trop mal pour un cuirassé qui était immobilisé au mouillage, en plus était torpillé et avait une grande partie de son arrière noyé d’eau et de mazout. Il n’avait aucun tir de précision de son artillerie principale et secondaire. Et l’on a défendu Dakar pendant 72 heures devant l’escadre anglaise. Sur la ville il tomba plusieurs obus faisant de nombreuses victimes.
 
Le 26 septembre on était encore à quatre heures au poste de combat. Dans la matinée, il n’y eut rien. Il y avait juste des avions français qui patrouillaient. Vers trois heures de l’après-midi il y eut une alerte. On venait de voir un avion loin au large mais il ne s’approcha pas. Il y eut un avion de reconnaissance de la marine qui tomba en flammes en retournant au port. C’était un « Loire » qui avait été faire une reconnaissance au large et au retour il eut un accident ou une panne et tomba en feu. Personne ne put sortir de l’avion.
 
Dans la soirée quelques torpilleurs et avisos qui étaient en grande rade, rentrèrent au port l’un après l’autre pour se ravitailler. On leur rendait les honneurs quand ils passaient et tous ceux qui se trouvaient sur le pont se mettaient au garde-à-vous. L’équipage de ces bâtiments criait vers nous quand ils nous dépassaient « Vive le Richelieu ! » ; On leur répondait « Vive la France ! » et cela répété plusieurs fois. On était tous joyeux d’entendre nos camarades de combat nous féliciter à chaque fois qu’ils nous croisaient.
 
Le 27 septembre, on avait branle-bas à quatre heures comme les jours précédents et poste de combat au cas où il y aurait encore alerte. La journée se passa toute calme. C’est à midi qu’on apprit qu’un cuirassé et un croiseur anglais avaient été sérieusement endommagés et que le sous-marin « Ajax » était aussi au fond mais que tout l’équipage était sauvé et prisonnier.
 
On était sans nouvelles de lui depuis le 23 septembre et on se doutait qu’il était disparu. Un autre cuirassé est endommagé par nous. On reçut le communiqué français l’après-midi nous disant que c’était le cuirassé « Résolution » qui était gravement atteint. Les autres étaient le « Barham » et le « Kent » ; On apprit aussi que Gibraltar avait été bombardé par les avions français et que le cuirassé « Renouss » avait été sérieusement atteint. Dans la soirée un câblier de Dakar repêcha un des avions anglais abattu et tombé à la mer et le ramena au port. Le lendemain on déchargea les pièces qui étaient restées chargées. Un canon de 380 de la tourelle II resta au recul.

Le récit de Jean HYRIEN s’interrompt brutalement là.



RENVOIS:
1 - Cuirassé
2 - Les évènements relatés ont en réalité eu lieu le 18 juin.
3 - Défense contre les avions
4 - Système de communication par signaux lumineux
5 - Paquebots réquisitionnés en 1939 comme croiseurs auxiliaires d'abord utilisés pour rapatrier les évacués de Dunkerque (notamment via Plymouth - Brest) en juin 1940, ils transportent ensuite une partie du stock d’or de la Banque de France de Brest à Casablanca et Dakar ; puis sont désarmés à Dakar.
6 - Contre-torpilleur
7 - Contre-torpilleur
8 - Frégate
9 - Pétrolier chargé du ravitaillement des navires
10 - Conakry est la capitale de la République de Guinée
11 - Artillerie antiaérienne du Richelieu, telle que prévue en 1940 :12 canons de 100 mm Modèle 1930 ; 12 canons de 37 mm Modèle 1935 (en six affûts doubles) ; 32 mitrailleuses de 13,2 mm Modèle 1929 (huit affûts quadri tubes)
12 - http://dakar.1940.free.fr/forces-1.htm Ce site raconte les 3 jours de la bataille de Dakar et l’envoi par De Gaulle d’une délégation de parlementaires français à Dakar pour préparer le débarquement de forces françaises et anglaises à Dakar ce qui suppose le ralliement de la marine française aux anglais et à De Gaulle. En effet, depuis Mers el Kébir les ordres sont d'attaquer toute force anglaise à moins de 20 milles de nos côtes et tout groupe d'avions survolant un point d'appui. Les vedettes dont il est question dans ce récit transportent ces parlementaires.
13 - Artillerie secondaire (pouvant tirer aussi contre-avions), telle que prévue fin 1939 : calibre : 152 mm Modèle 1936 (9 pièces à l'arrière, en 3 tourelles triples, une axiale et deux latérales) ; munitions : obus de 54 kg ; portée : 26 474 m à l'élévation 45°.
14 - Curtiss : avion de chasse produit par les USA
15 - La classe Hardi est une série de douze torpilleurs d'escadre de la marine nationale française mise sur cale à partir de 1936 et entrée en service en 1940.
16 - Paquebot Porthos: Date du naufrage: 08 novembre 1942 Paquebot mis en service en 1915. Il se trouvait à Dakar lors de la tentative de prise du port par les Anglais et les forces FNFL, le 23 septembre 1940. Un obus de 160 est tombé sur le pont faisant 7 morts et 10 blessés. Puis un autre obus lui a déclenché un incendie. Remis en état, il a continué à naviguer pour le gouvernement de Vichy. Il se trouvait à Casablanca lors du débarquement américain en Afrique du Nord le 8 novembre 194
17 - Paquebot
18 - C'est le deuxième d'une série de quatre sous-marins océaniques à propulsion diesel, construits à la DCN Cherbourg
19 - Le cap Manuel est situé à la pointe sud de la presqu'île du Cap-Vert (Sénégal)


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                        * Extraits du journal original



 
 
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